Smith Smith contre les ombres-robots
Au milieu du Golden Gate Bridge, assis à côté d’une belle et riche nana, un cou gigantesque et très instable au volant, ça m’est venu : le nom de mon feuilleton sur le privé à Babylone. J’allais l’appeler Smith Smith contre les Ombres-Robots. Quel chouette titre ! Je ne me tenais quasiment plus de joie.
« Que se passe-t-il ? », dit ma cliente qui n’avait rien dit depuis quelques instants que nous roulions.
J’ai commencé à dire tout haut le titre de mon feuilleton. C’était involontaire, mais j’ai réussi à m’arrêter après avoir laissé échapper le premier mot.
« Smith », j’ai dit ; et j’ai arrêté les autres mots en faisant s’asseoir un éléphant mental sur ma langue.
« Smith ? », a dit ma cliente.
Le cou du chauffeur semblait au bord d’un tressaillement. Et bon dieu je ne voulais pas voir ça.
« Je viens de me rappeler que c’était hier l’anniversaire d’un ami à moi et que j’avais oublié, dis-je. Je devais lui faire un cadeau. Il s’appelle Smith. Un type formidable. Pêcheur. Il a un bateau au môle. Je suis un ami d’enfance de son fils. Nous sommes allés au lycée Galilée ensemble.
— Oh ! », dit ma blonde et riche cliente, un accent de léger ennui dans la voix. Elle n’avait pas envie qu’on lui raconte des histoires sur un pêcheur qui s’appelait Smith.
Je me suis demandé comment elle aurait réagi si j’avais terminé ce que j’avais commencé à dire : Smith Smith contre les Ombres-Robots.
Cela m’aurait bien intéressé de voir comment elle s’en serait débrouillée. Dieu merci, je n’avais prononcé que le mot « Smith ». J’aurais pu me retrouver avec une cliente en moins ; pire encore, le cou aurait pu entrer en action.
Le cou était détendu à ce moment-là, en traversant le pont au volant de la voiture.
Un cargo sortait avec la marée.
Ses lumières flottaient sur l’eau.
« Je voudrais que vous voliez un cadavre », dit ma cliente.